L’Eyeborg, un œil électronique qui permet d’entendre les couleurs
Neil Harbisson, artiste qui ne voit pas les couleurs depuis sa naissance, porte sur la tête depuis 2004 un dispositif qui émet des sons différents en fonction des couleurs. Mieux, son cerveau s’y est rapidement adapté, développant un nouveau sens, une nouvelle condition qu’il a appelée sonochromatisme. A tel point qu’il se considère désormais comme un cyborg. Zoom, via un
reportage récent de Shamengo.com et d’autres sources, sur un dispositif étonnantqui pourrait peut-être aider de nombreuses personnes ne distinguant pas les couleurs, malvoyantes ou aveugles.
Portrait de Neil Harbisson avec son Eyeborg
L’achromatopsie, un trouble de la vision des couleurs
Les personnes qui présentent une achromatopsie voient plus ou moins en noir et blanc (les couleurs sont différentes nuances de gris). L’achromatopsie est due
à des défauts des cônes, qui sont, avec les bâtonnets, les cellules nerveuses réceptrices spécialisées de la rétine de l’oeil.Ces défauts des cônes peuvent être d’origine génétique (achromatopsie congénitale) ou secondaire à une lésion cérébrale, par exemple suite à un accident vasculaire (AVC).Pour l’instant il n’existe pas de traitement véritable de cette anomalie, mais la thérapie génique (remplacement du gène défectueux au niveau des cônes défectueux en utilisant un virus vecteur) commence à être testée avec des résultats encourageants. Des traitements à base de cellules souches commencent également à être envisagés (voir
cette section de la fiche Wikipedia sur l’achromatopsie).L’Eyeborg, une extension sensorielle qui reproduit les couleurs en sonsNeil Harbisson présente donc cette anomalie depuis la naissance et a donc passé une enfance et une adolescence en noir et blanc. Mais, fin 2003, il rencontre Adam Montandon, anglais qui se définit comme “expert en digital du futur“, et lui parle de ce problème.Adam Montandon,
comme il le résume sur son site, met alors au point, en deux semaines seulement, une première version de l’Eyeborg, comportant une webcam fixée avec du scotch sur une antenne, un logiciel et un ordinateur portable (transporté dans un sac à dos). La caméra analyse les couleurs d’un objet et le logiciel les convertit directement en ondes sonores.Ce procédé lui a permis, dès les premières utilisations, de reconnaître les couleurs de base, en mémorisant les fréquences, ou notes (il est musicien) correspondant à telle ou telle couleur, comme vous pouvez le constater sur cette vidéo, en anglais, de 2004 :
Grâce à ce dispositif étonnant, Harbisson considère qu’il n’a plus d’achromatisme, mais un “sonochromatisme“,
précise Wikipedia
360 couleurs, dont celles qui sont invisibles !Un autre informaticien, Peter Kese (Slovénie) perfectionne ensuite l’Eyeborg en 2007, qui devient plus discret et permet surtout à Harbisson de reconnaître les nuances des différentes teintes. Harbisson constitue alors une échelle sonochromatique de 360 couleurs-sons différents, que vous pouvez voir-entendre ci-dessous, dans une vidéo
qu’il a mis en ligne sur YouTube :
En 2009, Matias Lizana, étudiant espagnol, regroupe les éléments informatiques du dispositif dans une puce implantable (transmission des sons par les os du crâne), qui permet de plus de percevoir les infra-rouges et les ultra-violets, contrairement à un “simple“ œil humain.Depuis 2004, Harbisson n’a jamais quitté son “œil électronique“, sauf en cas d’évolution technologique ou pour le réparer, par exemple en cas d’incident indépendant de sa volonté (des policiers anglais l’ont cassé en 2011 en pensant qu’il filmait une manifestation…).Une adaptation rapide du cerveau… et des résultats surprenants !
Neil Harbisson a expliqué,
dans une interview à la BBC en février 2012, quelles ont été ses sensations après l’utilisation de l’Eyeborg : “Au début j’ai eu des maux de tête importants en raison des sons que j’entendais constamment, mais au bout de cinq semaines, mon cerveau s’adapté et j’ai commencé à relier la musique et les sons à la couleur. J’ai aussi commencé à rêver en couleur“.Petit à petit, l’utilisation de ce dispositif, ou plutôt du logiciel qui permet de faire correspondre sons et couleurs, a modifié son fonctionnement cérébral, probablement en développant de nouvelles connexions neuronales. Il serait d’ailleurs intéressant de lui faire passer une IRM fonctionnelle (permettant de visualiser les zones du cerveau activées par une tâche), afin d’observer d’éventuelles modifications de ses aires cérébrales liées à la vision.Indépendamment de la vérification de ces possibles modifications anatomiques, la vie d’Harbisson a donc été totalement changée par l’irruption de ces couleurs-sons. A tel point qu’il se considère désormais comme un cyborg, puisqu’il est désormais doté d’un nouveau sens d’origine mécanique et qu’il l’utilise en permanence.Découvrez le reportage, cette fois-ci en français, de
Shamengo.com, qui résume cette aventure étonnante :
Un art placé sous le signe du sonochromatisme
Enfant, Neil Harbisson s’habillait en noir et blanc, et jouait du piano, instrument également en noir et blanc. Il a ensuite continué à étudier le piano, mais l’irruption de l’Eyeborg, et donc du sonochromatisme, a bouleversé sa vie artistique.Il réalise, par exemple, des “portraits sonochromatiques“ : chaque visage comporte des nuances de couleurs différentes, donc créé des sons différents lorsqu’Harbisson se tient en face d’une personne et pointe son Eyeborg vers ses joues, son front, son nez ou ses yeux.Il a remarqué que certaines personnes, très belles physiquement, ne dégageaient pas forcément un son harmonieux, même si c’est subjectif. Et inversement.Découvrez ci-dessous Harbisson en train d’effectuer un portrait sonochromatique, le 22 Août 2011 à Mataró, Barcelone:
Les portraits sonochromatiques des visages de personnalités mondialement connues, comme Nicole Kidman ou Leonardo DiCaprio :
Après avoir écouté/vu une multitude de visages, Neil Harbisson considère qu’“Il n’y a pas la peau blanche ni de peau noire. La couleur de la peau des humains est faite de différentes nuances d’orange“. Il a d’ailleurs réalisé une mise en couleurs étonnante du passage le plus connu d’un des plus grands discours antiraciste du 20ème siècle, “I have a dream“,
prononcé le 28 août 1963 par Martin Luther King à Washington :
Un espoir pour une multitude de malvoyants ?Et si ce sonochromatisme pouvait se développer chez d’autres personnes achromatiques ou malvoyantes, bien qu’elles ne soient pas musiciennes ?
Comme cela est précisé dans le reportage cité précédemment de
Shamengo.com, Harbisson anime des ateliers découverte plusieurs fois par an en Espagne et à l’étranger. Il explique, à des adultes (capture d’écran ci-contre) ou enfants aveugles, le principe de sa gamme sonochromatique, puis met des objets colorés devant la webcam de son ordinateur portable, qui émet alors les sons correspondants.Face aux demandes venues du monde entier,
il a créé une “Fondation Cyborg“ pour diffuser ce savoir et cette possibilité : “ce qui me rend vraiment heureux, c’est de pouvoir offrir ce logiciel à des aveugles : ils voient enfin un peu de lumière et perçoivent mieux le monde“. En conclusion, s’il est possible de conclure sur un tel sujet, Neil Harbisson, à partir d’une idée toute simple et d’un bricolage à 50 euros, a développé un nouveau sens qui lui permet de vivre une vie pleine de couleurs.Et si, en attendant de possibles yeux bioniques, ou réparations du nerf optique, de la rétine grâce à la médecine régénérative (cellules souches) ou la thérapie génique, on enseignait aux malvoyants qui le souhaitent cette technique, afin de mettre un peu de couleurs-sons dans leur vie ?Jean-Philippe RivièreSources : – “Mon troisième oeil traduit les couleurs en sons“, reportage de Shamengo.com,
accessible sur leur site (trouvé
via le site Green et vert)- Achromatopsie,
fiche Wikipédia- “Colourblind Eyeborg Colours to Sound“, présentation de la genèse et de l’utilisation de l’Eyeborg
sur le site d’Adam Montandon- “Neil Harbisson“, fiche Wikipédia
en français et
en anglais- Le
site de Neil Harbisson- Vidéos uploadées par Neil Harbisson
sur son compte YouTube- “The man who hears colour“, BBC News, février 2012, article
accessible en ligne- “I have a dream“,
fiche WikipédiaPhotos :– Dessin de son profil Twitter (
@NeilHarbisson) et
profil Facebook de Neil Harbisson – Photo de cônes et bâtonnets provenant d’un
site réalisé
par Lucie Hunou et Olivier Tristan, du Lycée Français Jean Monnet, pour expliquer la surprenante couleur rose du lac Retba, au Sénégal- Capture d’écran de la vidéo de Shamengo