« Il n’y a pas encore une vraie identité rap à Nantes », regrette le rappeur Coelho
Il est assurément l’un des principaux talents du rap game nantais. L’un des rares à pouvoir rêver à moyen terme d’une carrière qui décolle à l’échelle nationale. Originaire de Saint-Sébastien-sur-Loire, Coelho, 26 ans, sera sur la scène de Transfert ce vendredi soir à l’occasion de la première soirée de clôture du festival Hip Opsession. Entretien avec un artiste dont vous allez probablement entendre de nouveau parler.
Ce pseudo Coelho, ça vient d’où ? Du célèbre écrivain brésilien ?
Oui en partie, avec son livre [le best-seller L’Alchimiste], sa vision un peu philosophique, presque naïve. Ce sont des messages qui me plaisent. Mais surtout je voulais choisir un nom de famille parce que ça vieillit bien. Celui-ci est connu, certes, mais ça ne me dérange pas. Avant j’avais un alias américain (Wess Smith) et ça me saoulait, j’ai voulu remettre les compteurs à zéro.
Comment êtes-vous venu au rap ?
J’ai toujours écouté du rap. J’ai commencé à me lancer à 12 ans en imitant mon grand frère, qui aujourd’hui fait toutes les instrus de mes morceaux. Je m’y suis remis vraiment en entrant au lycée. J’étais à fond mais on n’avait pas les moyens actuels pour se faire connaître. Le tournant, ça a été à 21 ans : on a décidé d’aller dans un vrai studio à Paris, celui d’Espiiem, un rappeur qui nous a beaucoup influencés. C’était la première fois que j’avais un vrai ingé son ! J’ai fini par investir dans du matériel et, désormais, j’enregistre tout de chez moi à Nantes. C’est plus efficace et spontané.
Vous êtes extrêmement productif. Quarante morceaux et quatre projets musicaux depuis Philadelphia en 2017 !
C’est pas mal (rires). On essaie de sortir des choses régulièrement. Je pense que c’est la bonne stratégie pour revenir régulièrement dans les oreilles des gens. Il y a tellement d’offres qu’il ne faut pas se faire oublier. Quand on est un gros nom on peut se permettre de générer une attente, mais pas à mon niveau. Là j’ai un nouveau EP cinq titres qui doit bientôt sortir. Et j’ai pas mal d’autres choses jusqu’à avril.
Quels sont les thèmes qui vous inspirent ?
Tous ceux qu’un jeune adulte peut avoir : les rapports sociaux, l’amour, le travail, mes choix de vie… C’est surtout en fonction de ce que je ressens sur le moment, des émotions. C’est très thérapeutique au final. Sauf quand je fais de l’egotrip, là on a juste à dire qu’on est le meilleur avec la bonne formule, c’est un autre exercice. Globalement, j’essaie d’écrire chaque jour.
Vos clips, particulièrement soignés, mettent souvent en valeur des décors nantais…
Je travaille avec le collectif Slasher. On connaît notre ville par cœur donc on trouve facilement les plans dont on a besoin. Ça permet de montrer autre chose que Paris. Mais je ne cherche pas particulièrement à valoriser Nantes, c’est l’esthétique qui prime. On essaie de trouver des concepts originaux à chaque fois. Un clip qualitatif c’est important, ça fait partie de la culture du rap. Ça donne une ambiance, ça attire les gens. Ça permet de voir ma tête aussi.
Quelle est votre ambition à moyen terme ?
De grossir ! Remplir de plus grandes salles, être suivi par une plus grosse communauté. Que je puisse en vivre aussi, tout simplement. Je touche un peu d’argent mais pas de quoi vivre du rap à 100 %. Donc je fais de petits emplois par-ci par-là, en restauration, coursier, caissier, de l’intérim… En vrai, j’ai fait trop de métiers. En ce moment je suis au chômage parce que j’ai besoin de temps pour la musique.
« Quand on n’est pas de Paris ou de Marseille, c’est compliqué de percer en ce moment »
Dans le titre Yeyo vous abordez la galère du métier de livreur des plateformes UberEats et Deliveroo et des petits jobs en général…
Je sais que certains livreurs se sont mis à me suivre. Ils étaient contents de voir un clip dans lequel ils pouvaient se projeter. Ce sont des métiers qui ne sont faits pour personne. On y reste parce qu’on n’a pas le choix. Ce qui me rend triste c’est quand je vois des gens beaucoup plus âgés et qui vont y rester pendant des années et des années. Je sais que c’est un luxe de faire ce que je fais. Je n’ai pas vraiment de responsabilité à part moi-même, je m’accorde le temps de rêver.
On dit parfois que vous êtes la figure montante du rap nantais. Êtes-vous à l’aise avec ça ?
Je comprends pourquoi. Parce que je suis le seul à avoir signé chez un gros label [Mezoued records, label de Tunisiano], je sors beaucoup de choses. Peut-être qu’il y a un peu plus d’engouement sur moi, ça fait plaisir, mais je ne prends pas ça au sérieux parce que je n’ai pas encore tout explosé. Je connais plein de rappeurs nantais talentueux que je soutiens aussi. A tout moment un gars peut sortir un son et faire plus de vues.
Nantes est réputée pour son vivier électro ou rock, mais pas du tout pour le rap…
Il n’y a jamais eu de têtes qui ressortent, à part peut-être Hocus Pocus à un moment mais c’était plus un groupe de musique. On est surtout gouvernés ici par la musique électronique. Il y a des soirées techno à tous les coins de rue, des soirées rock dans quelques endroits. Il n’y a pas encore une vraie identité rap à Nantes, même si je pense qu’il y a une communauté pour. Après, il faut dire qu’en ce moment, quand on n’est pas de Paris ou de Marseille, c’est compliqué de percer.
Quelles sont vos influences ?
J’écoute beaucoup Drake, Kendrick Lamar. En France, Booba, Rohff, La Fouine, Alpha Wann. Mais j’essaie de ne pas trop m’inspirer. Je vais plus aller chez les Américains qui, pour moi, ont souvent un coup d’avance sur ce qui se fait de mieux. En dehors du rap j’écoute du RnB, plein de chanteurs américains, Yseult en France. Je ne suis pas trop variétés mais il y a un titre de Louane, écrit par Dinos, que j’apprécie par exemple
Y a-t-il des aspects du rap français que vous n’aimez pas ?
Le copier-coller, ça me gave. Quand il y a une hype tout le monde se jette dessus. On pompe le mouvement jusqu’à son dernier souffle. Il y a des codes à respecter qui se reproduisent d’un rappeur à l’autre. Ça donne des périodes où il n’y a pas du tout de diversité. Heureusement, il y en a qui arrivent à garder leur originalité.
Click Here: Italy Rugby ShopLes rappeurs sont en tête des streamings mais restent peu présents à la radio ou dans les médias. Comment vous l’expliquez ?
Le stream n’a jamais autant marché, on fait des scores incroyables. Nous, on sait qu’en vrai c’est le rap la musique la plus écoutée de France. Après, pour le faire comprendre aux gens des bureaux… C’est un choc de cultures et de générations. Ceux qui tiennent les émissions n’ont pas grandi avec ça. Pour eux, le rap est rattaché à la violence, aux quartiers, ça ne leur parle pas. Ils commencent à s’ouvrir seulement parce que la demande devient trop importante. Du coup les grandes radios ne vont passer que des rappeurs qui vont plaire à la classe moyenne comme Orelsan, Lomepal, du rap qui ne fait pas peur. C’est le politiquement correct. Pareil en festival. Quand tu sais que ton morceau est en train de tout exploser, top charts, et qu’il ne passe sur aucune radio française, c’est dur. Ça développe une frustration pour l’argent que ça peut générer et même pour la reconnaissance.