Coronavirus : Comment les labos et les pharmacies se préparent à la fin des tests gratuits
Fini le quoi qu’il en coûte et la gratuité des tests de dépistage du Covid-19. Mi-octobre, tests PCR et antigéniques dits de confort deviendront payants. L’objectif : inciter les derniers Français récalcitrants à sauter le pas de la vaccination, alors que le pays devrait dès les prochains jours passer la barre des 50 millions de primo-vaccinés. Une stratégie qui s’attaque au porte-monnaie des non-vaccinés, qui seront alors peut-être plus enclins à recevoir un vaccin gratuit qu’à payer un test PCR ou antigénique pour bénéficier d’un pass sanitaire valide.
Pour les laboratoires d’analyses comme pour les pharmacies, qui ont réalisé des millions et des millions de tests depuis le début de la pandémie, cette mesure devrait aussi avoir un retentissement économique conséquent. Comment abordent-ils ce bouleversement à venir ? Et comment comptent-ils mettre à profit les enseignements de cette crise sanitaire ?
Moins de tests, donc moins de revenus pour les laboratoires
Selon la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et de statistiques (Drees), environ 112,6 millions de tests ont été réalisés entre le 1er mars 2020 et le 1er août 2021, dont 80 millions de tests PCR [dont le prix a varié depuis le début de la pandémie]. Soit une facture totale qui dépasserait allègrement les 5 milliards d’euros, entièrement à la charge de la Sécurité sociale. Pour le gouvernement, plus question de maintenir ces dépenses. Dès cet automne, seules les personnes déclarées cas contact et celles présentant les symptômes du coronavirus et bénéficiant d’une prescription médicale pourront se faire dépister gratuitement. Pour les autres, la carte Vitale ne sera plus d’aucun secours, il faudra allonger la monnaie : 43,89 euros pour un PCR et 25 pour un antigénique.
Logiquement, cette fin de la gratuité va entraîner une chute du volume des dépistages. « Le dépistage Covid était un secteur d’activité supplémentaire pour lequel nous avons embauché 12.000 personnes et investi dans du matériel coûteux, notamment des machines et des réactifs, estime le Dr François Blanchecotte, président du Syndicat des biologistes. Mais aujourd’hui, on s’attend à un retour à la situation d’avant juillet 2020, date à laquelle le gouvernement avait rendu les tests gratuits. En pratique, on table sur une chute de 80 % du volume de tests. Nous décélérons donc nos commandes de réactifs, car on voit mal les Français non vaccinés continuer à se faire dépister tous les trois jours si c’est à leurs frais. »
C’est donc tout un pan économique de ce secteur qui pourrait s’effondrer. « Des pertes d’emplois sont à craindre, prévient le Dr Blanchecotte. Toutes les personnes embauchées – infirmières, ingénieurs, coursiers – pour assurer le surplus d’activité des derniers mois ne pourront être maintenues en poste ».
Un effet aussi sur l’activité des pharmacies
Et il n’y a pas que les laboratoires qui vont être touchés par cette mesure. L’entrée en vigueur du pass sanitaire en milieu d’été a engendré une ruée vers les tests antigéniques, plébiscités par les non vaccinés grâce à leur résultat rapide. Pour la seule semaine du 9 au 15 août, près de 6 millions de tests ont été réalisés, dont plus des deux tiers par test antigénique, selon la Drees. Pour répondre à la forte demande, les barnums ont poussé comme des champignons partout dans l’Hexagone, devant les pharmacies, les gares et autres lieux passants.
Chez les pharmaciens – rémunérés 25 euros par test –, certains ont essayé de profiter au maximum de ce complément de revenus en installant plusieurs barnums, parfois loin de leur officine. « On a même été saisi pour une pharmacie parisienne qui a monté un barnum dans le sud de la France », indique Pierre Beguerie, président du conseil central de l’Ordre des pharmaciens.
Mais ce bon filon devrait se tarir à l’automne selon la même logique. Avec des tests payants, la demande devrait chuter et le nombre de barnums mécaniquement baisser, selon Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France.
Click Here: Red Bull Racing SuitUn suivi moins pointu de l’épidémie
Alors, la fin de la prise en charge des tests compliquera-t-elle le suivi de l’épidémie ? « Nous n’avons pas de réponse du gouvernement sur ce point, mais vraisemblablement, cette mesure va nous rendre aveugles : on n’aura plus aucune idée de l’étendue de l’épidémie, craint le Dr Blanchecotte. Les ARS pourraient continuer à mener des campagnes de dépistage, mais on se détourne des tests experts que sont les PCR, sans doute au profit des tests antigéniques ou des autotests pour le grand public, et des tests salivaires dans les écoles. »
La couverture vaccinale élevée dans le pays compensera-t-elle le suivi moins pointu de l’épidémie ? « Je ne suis pas sûr qu’elle soit suffisamment importante pour éradiquer la circulation du virus », avance le Dr Blanchecotte. D’autant qu’avec « la circulation du variant Delta, qui affecte davantage les jeunes enfants, dont la vaccination n’est pas à l’ordre du jour, les contaminations chez les plus jeunes devraient augmenter », abonde le Dr Jérôme Marty, médecin généraliste et président de l’Union française pour une médecine libre (UFML).
Or, « aujourd’hui, on nous demande d’arrêter le criblage, c’est-à-dire la recherche de mutations. On a arrêté en grande partie le séquençage, qui permet de surveiller l’apparition de nouveaux variants, poursuit le Dr Blanchecotte. Et demain, les tests ne seront plus remboursés. »
Tirer les enseignements de la pandémie pour se renouveler
Mais pour les laboratoires comme pour les pharmacies, pas question de subir cette baisse de revenus. « Je pense que les actions de prévention en officine vont se développer pour d’autres types de pathologies », prédit Philippe Besset, en assurant qu’il faudra probablement développer des espaces spécialisés dans les pharmacies. Car désormais, il s’agit de tirer les enseignements de la pandémie pour se renouveler. « Les laboratoires ont fait un bond en avant en s’équipant pour la biologie moléculaire, technologie employée pour les dépistages par PCR, souligne le Dr Blanchecotte. Dorénavant, il s’agit que les nouveaux tests de dépistage soient pris en charge par l’Assurance maladie en biologie moléculaire. La grippe et d’autres virus pourraient être dépistés par PCR, ce qui nous permettrait à la fois d’utiliser les machines dans lesquelles nous avons investi, mais aussi de faire progresser le diagnostic en France, quitte à dérembourser certains tests obsolètes au profit de ces techniques d’avenir. Imaginez qu’elles soient aussi déployées au sein des hôpitaux, cela permettrait d’obtenir des diagnostics en moins d’une heure sur des virus, bactéries et champignons, et de gagner un temps précieux dans la prise en charge des patients. »
Et dans les laboratoires, en plus de préparer le monde d’après, on revient doucement aussi au monde d’avant. « Après de longs mois à fonctionner 24 h/24 et 7 J/7, rappelle le Dr Blanchecotte, nous commençons à retrouver un rythme moins sportif, qui nous permet de revenir à notre cœur de métier : la biologie de suivi des maladies chroniques, qui ont pu être moins surveillées de près au plus fort des vagues épidémiques, et pour lesquelles il est temps de combler le retard pris. »